28 février 2010
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Pour le dernier spectacle de la saison, la semaine prochaine, le Manège se met au vert : vous ne verrez plus jamais votre jardin et ses objets rassurants du même œil.
« Nous naissons tous fous. Quelques-uns le demeurent. » Cette citation de Beckett, (dont la dernière représentation rémoise de son emblématique « En attendant Godot » aura lieu ce soir à la Comédie) s’applique à merveille aux deux pitres qui se démèneront jeudi, vendredi et samedi prochain sur la scène du Manège.
Ce n’est pas un(e) grain(e) de folie qu’ils plantent dans leur jardin, c’est le chaos qu’ils sèment. Impossible, après les avoir vus, de contempler d’un œil serein une brouette sans se méfier : en certaines mains, elle peut se livrer à une étrange danse. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » Nul doute que Lamartine ne se poserait plus la question après avoir observé les déhanchements de la brouette ou les facéties d'un tuyau d’arrosage qui se prend pour le cercle d'eau (ou de feu) au centre duquel le tigre jardinier se contorsionne : ces outils-là ne sont pas plus inertes qu’inoffensifs, et rien moins qu’apaisants. Si après ces combats épiques, une sieste en hamac vous tente encore, inaltérable est votre sérénité.
Rien de plus logique pourtant pour des acrobates que de s’approprier les outils du jardinier, puisque « jusqu’en 1979, les arts du cirque relevaient exclusivement du ministère de l’agriculture ». Une telle révélation laisse perplexe, tant tout oppose les deux univers : quand jongleurs et trapézistes ne cessent de défier la pesanteur et de s’approprier les airs, le paysan se courbe sur la terre, toujours aussi basse ; et difficile de trouver plus contraire à l’enracinement des terriens que les chapiteaux qui volent de ville en ville avec la liberté des nomades. Passons.
Toujours est-il que Jean-Paul Lefeuvre (d’abord dessinateur industriel) et Didier André (titulaire d’un brevet professionnel agriculture et élevage) ne sont plus à une transgression près : après des études au tout jeune CNAC de Châlons d’où ils sortent en 1989, ils bravent aujourd’hui avec héroïsme la superstition selon laquelle le vert est proscrit au théâtre, et repeignent couleur gazon l’éternel duo entre l’auguste et le clown blanc. « Dans ce lieu qui ne ressemble pas tout à fait à un Eden, le ver est déjà dans la pomme, [puisque se joue ici la] version bucolique de l’opposition bien connue entre maître et valet » pour emprunter l’expression de Guillaume Schmitt dans la plaquette de présentation.
Ou comment faire flèche de toute fleur.
Publié dans l'Union sous nom marital le 30 mai 2009