9 février 2010
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« L’amour conjugal », un monologue intérieur animé d’une justesse confondante.
La Comédie propose un diptyque intitulé « Au temps de l’amour » : Moravia et Lagarce, deux voix singulières. Une soirée en deux temps où les feux de la rampe se tamisent pour laisser la douce acuité d’une parole intime se déployer dans toutes ses nuances.
Matthieu Roy est un jeune metteur en scène. De cette nouvelle génération de gens de théâtre grandie avec les techniques audio-visuelles, il invente une façon inédite d’animer la scène. Par un surprenant tour de passe-passe, il subtilise au théâtre son « direct » acoustique pour le lui restituer, décuplé, transfiguré. Le défi était de taille en effet. Comment donner à entendre la puissance d’un monologue intérieur comme celui du narrateur de L’amour conjugal, roman d’Alberto Moravia publié en 1949, sans produire une récitation monocorde et soporifique ? A moins d’être servie par la présence éblouissante d’un Fabrice Luchini où les étincelles jaillissent du frottement de deux génies, l’adaptation d’un roman au théâtre, intimiste qui plus est, c’est aussi périlleux que, pour un archéologue, exposer à la lumière crue du grand jour une relique, au risque de la voir se décomposer. Mais la trouvaille de Matthieu Roy fonctionne. Plutôt que de forcer leur voix dans cette emphase théâtrale qui peut rebuter, les deux acteurs, munis d’invisibles micros, se contentent de murmurer à l’oreille du spectateur puisque celui-ci est équipé d’un casque. Assis sur des bancs (rembourrés) disposés sur la scène même de la Grande Salle, on se trouve, avec le jeune couple, dans sa salle à manger, autour de cette immense table « vêtue de probité candide et de lin blanc » comme la page blanche que s’efforce de noircir le narrateur, écrivain et jeune marié, usant de sa femme comme d’une muse. Et dans une alternance finement tricotée de dialogue et de monologue, on l’entend réfléchir à haute voix, s’adressant à lui-même ou à sa jeune épouse comme à un miroir de son talent et de ses angoisses, vous susurrer à l’oreille des vérités que l’on voudrait transcrire toutes, tant elles sondent avec justesse les tréfonds de l’âme humaine. Et l’on se promet de se jeter dès le lendemain sur la première librairie venue pour lire ou relire le roman.
Le deuxième volet, une demi-heure plus tard, est la création d’une pièce de Jean-Luc Lagarce, « Histoire d’amour ». Même éclairage en demi-teintes, mêmes acteurs, même acuité sans concession d’un regard au scalpel sur les mouvances des sentiments, mais une langue disséquée.
Il y a du Duras chez Lagarce. Cette façon de disloquer la concordance des temps, la cohérence des personnes : « Je, elle, enfin moi, dis. » que traversent pourtant assez de vérités fulgurantes pour que l’on ne s’y dissolve pas.
Publié dans l'Union sous nom marital le 14 janvier 2009