7 mars 2010
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Le 15 mars de l’an 44 avant J.-C., Jules César est au crépuscule de sa glorieuse carrière. Il a beau avoir doté sa Rome natale d’immenses conquêtes, quelques menus détails chagrinent son entourage : il n’a pas franchement laissé les lieux du pouvoir dans l’état où ils auraient aimé les trouver en entrant sur la scène politique.
En effet, cinq ans plus tôt, en franchissant le Rubicon, il avait mis fin à presque cinq cents ans de république romaine, et, de transgression en transgression, s’était peu à peu octroyé les pleins pouvoirs.
Et le léger problème, quand vous vous êtes fait nommer dictateur à vie, c’est que si vous avez le malheur de ne plus plaire, le seul moyen de se débarrasser de vous, c’est de vous mettre à mort. (De l’avantage de la démocratie : en cas d’impopularité, il suffit d’attendre tranquillement la fin de votre mandat. C’est quand même nettement moins risqué.)
Donc, en ces Ides de mars de l’an 465 de feu la République romaine, une conspiration (encore une, c’était très à la mode à l’époque) s’était formée pour assassiner l’encombrant vieillard qui, pourtant déjà perclus de toutes sortes de réjouissantes maladies, n’en avait plus pour très longtemps à s’attarder sur les marbres des palais. Parmi les conjurés, le propre fils adoptif de César, le bien nommé Brutus, qui arracha à son papa, lorsqu’il le reconnut, ces quelques mots passés à la postérité: « Tu quoque, mi fili ! » Les tendres modernes que nous sommes y lisent le désespoir d’un père aimant trahi par son tout-petit devenu grand. Mais Jules le conquérant n’avait pas particulièrement un cœur de midinette, et il est permis de comprendre cette exclamation comme un avertissement menaçant et vengeur : « Toi aussi, mon fils, tu cèderas à la tentation du pouvoir absolu et tu mourras par la violence, tu ne perds rien pour attendre. » A bon entendeur…
Mais pour des raisons indépendantes de sa volonté que l’on excusera, car il n’est guère aisé de conserver son éloquence avec plusieurs coups de poignard plantés dans les côtes, il dut interrompre son discours d’adieu, et c’est tant mieux, parce que les citations latines, plus c’est court, plus c’est facile à retenir. Les meilleures plaisanteries ont une fin.
Publié dans l'Hebdo du Vendredi le 13 mars 2009.